Il y a moins d’un mois, Emma Coats, directrice artistique chez Pixar, nous a fait part sur Twitter de 22 bonnes choses à savoir pour écrire une bonne histoire.
Ces 22 conseils, qu’elle a construit en évoluant auprès des équipes créatrices de Pixar, sont pour le moins pertinents si un jour vous pensez devoir/pouvoir écrire une histoire originale : LA VOTRE.
Mais est-ce que le cru Pixar de cette année, Rebelle, a respecté ces 22 grands principes ?
Je peux vous affirmer que malgré quelques erreurs de première heure, sa prévisibilité, et ses gags pas toujours fins, Rebelle remplit, d’une, son contrat Pixarien, et de deux, va bien plus loin en touchant au cœur un public extrêmement ciblé et de façon inédite dans l’animation moderne : Les Femmes.
Rebelle c’est une petite histoire de FEMMES, écrite par des FEMMES, pour des FEMMES…
Et une grande leçon de cinéma.
Lisons donc ce nouveau long-métrage en suivant ces 22 grands principes pour écrire une bonne histoire :
1 – Admirez un personnage qui essaie, se bat, plutôt qu’un personnage qui réussit.
Rebelle(Brave) c’est l’histoire de la Princesse Merida, héritière du trône d’un Royaume d’Ecosse enchanté, qui pense à autre chose qu’à son devoir de future monarque.
Dans un Moyen-Age où la place de la femme est encore effacée derrière son (futur) mari, Merida préfère se dédier à l’exploration de ses terres merveilleuses avec son fidèle cheval Angus, et au maniement d’une arme alors masculine : l’arc.
Au lieu de se plier aux codes de la cour, Merida essaie de gagner sa liberté de femme mais s’oppose à sa mère Elinor… Une (autre) femme forte.
2 – Gardez en tête ce qui est intéressant en tant que public et pas ce qui est amusant en tant qu’auteur. Ce sont deux choses qui peuvent être vraiment différentes.
Ce qui aurait pu être intéressant avec Rebelle, aurait été de se focaliser UNIQUEMENT sur la relation mère-fille (c’est le cœur du film, fort heureusement), et c’est ce que devait être probablement le film à l’époque où Brenda Chapman, première femme réalisatrice chez Pixar, était aux commandes. Insatisfaits du résultat, Disney-Pixar a demandé à Mark Andrews de reprendre le film afin de le remanier et le rendre, sans doute, davantage ouvert à un plus large public.
Bonne ou mauvaise chose, le film en devient plus prévisible, mais un peu plus drôle, et donc plus accessible pour un public moins féminin (il ne faut pas oublier que le long-métrage s’adresse aux enfants et aux familles, et je ne serais pas étonné d’apprendre que la première mouture de Rebelle était davantage adulte et moins cartoon dans certains passages).
3 – Essayer de dessiner des thèmes est important, mais vous ne verrez pas ce dont traite votre histoire afin que vous n’arriviez à sa fin. Maintenant, réécrivez.
En sortant de la salle, j’étais persuadé d’avoir à faire à un Pixar mineur. Etant un jeune homme, extrêmement touché par d’autres Pixar (dont la trilogie Toy Story, ayant grandi avec et me reconnaissant indéniablement dans le personnage d’Andy), ce Rebelle m’avait laissé, dans un premier temps, sur une légère insatisfaction. Ceci, bien que j’étais capable de lui reconnaître une certaine fraîcheur et de nombreuses bonnes idées.
C’est en discutant du film avec des femmes que je me suis rendu compte à quel point il m’avait probablement plus touché que je ne le pensais. La seconde lecture du film est en réalité tellement visée, précise sur son public, que seules quelques-unes se reconnaîtront dedans.
Et c’est pourtant toute l’audace du film : prendre le risque de laisser sur la touche tous les autres, mais de TOUCHER profondément les femmes. Toutes ces mères et ces filles qui s’identifieront instantanément dans cette histoire de libération… La libération de la FEMME dans tous ses états.
Le premier Disney-Pixar personnel ?
4 – Il était une fois, il y avait ___. Chaque jour, ___. Et puis un jour, ___. A cause de ça, ___. En conséquence de ça, ___. Jusqu’à ce que ___.
Les Pixar jusqu’ici ne s’étaient aventurés que rarement dans le conte, Rebelle le prend de plein pied, si bien qu’on se demande si parfois nous n’avons pas à faire à un Disney pure souche.
Quoiqu’il en soit, ce précepte est suivi à la lettre dans Rebelle, rendant cette histoire d’une efficacité redoutable.
« Il était une fois, une Princesse qui ne souhaitait pas l’être. Chaque jour, elle sortait du château pour s’adonner à la découverte de son Royaume et s’entrainer au maniement fort masculin des armes. Et puis un jour, sa mère la força à se marier, ce qu’elle refusa. A cause de ça, elle fuyait le château, fâchée contre sa mère. En conséquence de ça, Merida rencontra une sorcière qui lui promit un enchantement empêchant ce mariage maudit. Tout allait bien pour Merida jusqu’à ce que sa propre mère finisse par tomber malade… »
5 – Simplifiez. Concentrez. Combinez les personnages. Evitez les détours. Vous aurez l’impression de perdre des bons ajouts, mais ça vous libèrera.
Plusieurs choses sont montrées dans Rebelle. Il y a de nombreux personnages.
On aurait pu penser à un grand film d’aventure et d’exploration, mais que nenni. Et c’est la grande surprise du film. Parfois le long-métrage ressemble surtout à un film intimiste familial, axé sur la relation mère-fille qui est l’importance de cette histoire.
Les espaces utilisés sont souvent les mêmes (le château, ses environs, la forêt, le bosquet, la maison de la sorcière) et les rares détours sont à chaque fois concentrés.
L’essentiel de cette histoire se passe entre Merida et Elinor.
6 – A quoi vos personnages sont bons ? Avec quoi sont-ils à l’aise ? Lancez-le dans le total opposé de ces choses. Challengez- les. Comment s’en sortent-ils ?
Merida est bonne au maniement de l’arc.
Elinor est bonne aux courtoisies de la cour.
La « nouvelle » rencontre de ces deux personnages permet de les opposer frontalement et de s’inviter continuellement à se dépasser en apprenant l’une de l’autre. C’est la force du film.
Pas de road movie cependant puisque les personnages sont amenés à très vite collaborer dans un endroit précis (symbolique d’un personnage) et c’est là toute la tension du film (l’autre endroit symbolique est utilisé dans le climax).
D’ailleurs, nous pouvons remarquer l’importance donnée aux décors dans ce film : la forêt représente l’aventure, soit le monde de Merida. Et la cour, le château et ses codes de bonnes conduites représente le personnage de la mère, Elinor.
Leur point de rencontre à toutes les deux est ce bosquet illuminé au milieu de ces deux espaces, rappelant Stonehedge. Endroit d’une importance capitale dans le film… Tiens donc, comme par hasard !
7 – Trouvez votre fin (3e acte) avant de trouver votre milieu (2e acte). Vraiment. Les fins sont dures à trouver, alors partez au front avec elles.
La fin est prévisible dès l’arrivée de l’élément perturbateur.
Pourtant, le 2e acte est suffisamment riche en péripéties pour nous distraire et assez humainement approfondi pour nous faire comprendre autre chose de cette histoire.
8 – Finissez votre histoire, laissez faire, faites-le même si elle n’est pas parfaite. Dans un monde idéal, vous avez les deux, mais tant pis. Foncez. Vous ferez mieux la prochaine fois.
C’est peut-être le problème de Rebelle : d’avoir été trop vite dans l’histoire qu’il devait raconter (Chapman) et de ne pas prendre suffisamment en considération le public à qui il s’adressait lors de ses nombreuses réécritures.
La « grande » histoire du film met alors du temps à démarrer et toute la première heure semble assez longue pour le public, notamment le moins concerné par ce récit.
9 – Lorsque vous êtes en panne d’inspiration, dressez une liste de ce qu’il ne devrait PAS arriver. De nombreuses fois, ce qui vous débloquera de cette situation arrivera de lui-même.
C’est ce qui créé la surprise. Et malgré le classicisme absolu de cette histoire, les péripéties du deuxième acte sont suffisamment inattendues pour créer ce « suspens », ce « contre la montre » continue qui nous fait comprendre que la menace persiste et que le temps passe.
10 – Désassemblez les histoires que vous aimez. Ce que vous aimez est une part de vous-même. Reconnaissez-le avant de l’utiliser.
Rebelle a le mérite de parler à un certain public.
Maintenant que j’espère vous avoir convaincu d’aller voir ce film, posez-vous cette question : En quoi ce film m’a/peut me toucher ?
Pourquoi ?
Il n’y a pas meilleur film que celui qui parle directement à votre cœur.
11- Le fait de la mettre sur papier vous permettra de la réparer. Si une bonne idée reste dans votre tête, elle ne sera jamais partagée.
Peut-être que le renvoi de Chapman sur le projet ne nous a pas permis de profiter de certaines de ses idées.
Pour le meilleur ou pour le pire ?
12 – Débarrassez-vous de la première chose que vous vient à l’esprit. Puis la seconde, la troisième, la quatrième, la cinquième. Débarrassez-vous de l’évidence. Surprenez-vous.
Le classicisme n’empêche pas les surprises.
La prévisibilité n’empêche pas l’intelligence.
13 – Donnez votre opinion sur les personnages. Un personnage passif/malléable peut paraître sympathique à vos yeux quand vous l’écrivez, mais c’est un véritable poison pour le public.
Le personnage du père, Fergus, est de très loin le moins intéressant, mais reste aussi le plus drôle.
Il permet de créer le divertissement, le spectacle, mais il n’est jamais le cœur du film.
Et tant mieux.
14 – Pourquoi devez-vous impérativement raconter cette histoire ? Quelle est la partie de vous qui brule pour cette histoire ? C’est le cœur de la chose.
Quel est le cœur de ce film ?
La relation mère-fille.
Et malgré ce décor enchanteresque, je suis prêt à parier que cette histoire représente une part importante de la vie de Brenda Chapman.
Il n’y a pas plus sincère que votre propre histoire.
15 – Si vous étiez votre personnage, dans cette situation, comment vous ressentiriez-vous ? L’honnêteté permet la crédibilité aux situations les plus incroyables.
Ce conseil peut être retourné sous forme d’une autre question : Comment faire pour que les choses semblent réelles ?
Dans les univers irréels, merveilleux, fantastiques, il est IMPERATIF que les personnages soient humains ou au moins proche de nous dans leur comportement. Cela favorise l’identification et donc par extension, la crédibilité.
C’est sûrement là où beaucoup de films d’exploration de mondes merveilleux échouent : lorsque les personnages ont des réactions incohérentes et… inhumaines.
Le contre-exemple d’aujourd’hui ? Star Wars Episode I, la Menace Fantôme.
Lors de l’arrivée de l’élément perturbateur fantastique, Rebelle a suffisamment installé ses personnages et leurs réactions crédibles face à des situations que l’on a tous connu, pour s’assurer que l’identification entre le personnage de Merida et les petites filles dans la salle a été fait. Du coup : ON Y CROIT.
Si le lien entre le personnage et le public est établi, le réalisateur peut nous faire croire n’importe quoi, à condition que cela reste visuellement vraisemblable.
16 – Quel sont les dangers, les risques ? Donnez-nous une raison de s’accrocher, s’attacher aux personnages. Qu’arriverait-il s’ils ne réussiraient pas ? Mettez-les à l’épreuve.
La tension est sans cesse relancée.
Toujours, lors du 2e acte, il nous est rappelé ce qu’il adviendrait à cette famille si Merida et sa mère échouaient.
Ces rappels de la menace permettent de créer un suspens, un danger, de confronter les personnages à leurs pires peurs (qu’ils ne connaissaient pas forcément avant cette aventure) et donc à les rendre à chaque plus humains.
17 – Aucun travail n’est vain. Si ça ne fonctionne pas, laissez tomber et passez à autre choses. Ca redeviendra utile plus tard.
C’est aussi ce qu’on appelle le pay-off.
Dans les films, c’est le moment où une chose anodine et anecdotique montrée plus tôt dans le métrage, devient la clé, la résolution à une situation fermée, de danger.
Ça marche aussi dans la vie !
18 – Vous devez vous connaître : la différence entre faire de votre mieux et feindre. Ecrire une histoire c’est se tester, pas peaufiner.
A ceux qui n’ont jamais écrit dans la vie : FAITES-LE.
Et sur VOUS.
19 – Les coïncidences pour mettre les personnages dans l’embarras est très bien ; les coïncidences pour les sortir de là, c’est de la triche.
Les accidents sont des accidents.
Les résolutions sont des actes de bravoure (d’intelligence ?).
Un film, qui plus est destiné au jeune public, ne doit jamais oublier ses vertus éducatives. Et quand il a le moyen de faire de bonnes chansons (en VO), il peut le faire !
20 – Exercice : Déconstruisez un film que vous détestez. Comment réarrangeriez- vous ce film pour que vous puissiez l’aimer ?
Et vous, public masculin qui n’avez pas aimé (ou qui n’aimera pas le film). Que feriez-vous de cette histoire ?
Laissez-moi deviner : une relation père-fils ?
Allez, en bonus : une relation père-fille ?
Acceptez l’inédit.
21 – Vous devez identifier vos situations avec vos personnages. Vous ne pouvez pas faire les choses en disant qu’elles sont juste « cools ». Qu’est-ce qui VOUS ferait réagir de la sorte ?
Et c’est à mon avis pourquoi Pixar fait de meilleures histoires que la concurrence. Ils pensent leurs histoires autour d’émotions et non autour de scènes drôles.
Ajoutez à cela les reprises continues de leurs histoires par la voie de la réécriture, leurs boites à idées, leur travail d’équipe et leurs méthodes de management, et le tour est joué !
Certains penseront que la sincérité des histoires est alors à remettre en cause, mais hey, n’avez-vous jamais apprécié une discussion à plusieurs où chacun parle avec son cœur ?
Une bonne histoire, c’est aussi un bon plat préparé à plusieurs bonnes volontés.
22 – Quelle est l’essence de votre histoire ? Dites-le vous le plus succinctement possible. Si vous savez ça, vous pouvez en faire quelque chose.
Vous savez ce qu’il vous reste à faire, chers amis !
Quant à ce nouveau grand personnage féminin qu’on croirait dessinée à la main, c’est aussi une exceptionnelle princesse « forte ». Et elle est à découvrir sur grand écran le 1er août.
Rebelle de Mark Andrews et Brenda Chapman.
Avec les voix originales de Kelly MacDonald, Emma Thompson, Billy Connolly et Julie Walters.
Et les voix françaises de Bérénice Bejo, Nathalie Homs, Jacques Frantz et la participation de Michel Hazanavicius.
En salles le 1er août.
Crédit photo : The Walt Disney Company France
William Mondello
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